On le sait depuis maintenant plus de 10 ans : le Tim Burton que l’on aimait n'est plus. Celui qui nous a fait pleurer devant l’histoire d’amour d’Edward aux mains d’argent ou qui nous faisait rire à gorge déployée, en s’amusant à mettre en scène le dézingage d’une Amérique archétypale (entre la famille white trash, la hippie, le texan, jusqu’au président lui-même…) par des extra-terrestres belliqueux dans Mars Attacks, a été remplacé par son double maléfique.
Il a laissé sa place à un homme se caricaturant à outrance dans des auto-citations serviles, tout en ne retrouvant jamais ce qui faisait l’un des atouts de son cinéma : la défense et l’amour qu’il portait aux freaks, des marginaux, des rebuts de la société. Pire car au détour des années 2000 son cinéma a pris un virage idéologique à 180°. Certes ses films les plus récents sont toujours aussi peuplés de ses figures de monstres et de personnages loufoques et saugrenus, mais il les utilise à présent à une autre fin : celle d’intimer, de manière insidieuse, au spectateur à rentrer dans le rang ! Un beau contre-sens face au vue la première partie de sa carrière.
Pour rappel : Burton est passé de cette histoire où les deux amants préfèreront être séparés, mais liés symboliquement, plutôt que de renoncer à leur amour interdit...
...à ça !!
Bye bye l’amour résigné, car rendu impossible par un entourage hostile, entre Edward et Kim dans Edward aux mains d’argent, et bonjour le renoncement conformiste des Noces funèbres, où le personnage de Victor préfèrera épouser la fade Victoria, à la mariée défunte s’étant éprise de lui. Les vivants avec les vivants. Et les morts avec les morts. Chacun sa place !
Une évolution qui sonne comme une capitulation définitive de la part de Burton.
Cependant un autre réalisateur a touché du doigt ce à quoi aurait pu ressembler les films récents de Burton s’il n’avait pas entrepris ce virage idéologique. Son nom : Alex de la Iglesia. Son film : Balada Triste.
De la Iglesia partage avec Burton le même goût pour ces personnages de marginaux, tendance qu’il mettra d’ailleurs en avant dès son premier film, Action Mutante, qui voit des personnages handicapés activistes, à l’encontre d’une société qui les exclut totalement, dans un futur (pas si) dystopique. Cette tendance pour ce type de personnages s’exprime à l’écran, tout comme chez Burton, par des références à un certain « cinéma de monstres » des films de Tod Browning aux figures mythiques d’Universal.
Il partage également avec l’auteur de Beetlejuice et Sleepy Hollow un attrait pour un certain humour noir très ironique, outil d’une observation cinglante de certains travers de notre société.
Mais le metteur en scène ibérique se démarque de Burton en ayant toujours, et surtout avec Balada Triste, accompagné son ironie mordante d’un certain ton ouvertement frondeur et rageur, qui aurait très bien pu être l’étape suivante, au tournant des années 2000, du cinéma de Burton. Ne pas abandonner son ironie critique et la muer petit à petit en un ton beaucoup plus séditieux, et cela se fera entre autre par une évolution de l’utilisation de la figure du monstre…
Le personnage principal de Balada Triste : la suite logique du personnage d'Edward ? Le monstre a les nerfs à présent ! Et il y a de quoi !!
Dans Balada Triste, le monstre n’a plus à se résigner à vivre reclus car il est maintenant montré comme étant pleinement une composante de la société qui doit à présent l’assumer. Il n’incarne plus uniquement l’excroissance « malade » de celle-ci mais en est sa caisse de résonnance voire même sa représentation complète. Il n’est plus l’évidence de l’incarnation d’exclus, quand bien même chez Burton et dans Action Mutante, il est montré comme étant moins "monstre" que le reste de la société.
Le cirque : allégorie sociale aussi simple qu'évocatrice
Dans ce long-métrage, le neuvième de son auteur, il y est question d’une histoire d’Espagne, théâtre d'un déchirement, pendant une longue période, entre républicains et franquistes. Et cette thématique historique se fera à travers l’histoire d’un triangle amoureux, de deux clowns (les deux facettes du pays) s'affrontant pour l’amour d’une acrobate (l’Espagne). Les deux monstres aux faciès effrayants et repoussants sont à présent le visage déchiré d’une civilisation sans cesse tiraillée entre des idéologies antagonistes.
Ce qui n’empêchera Alex de la Iglesia de peindre une tragédie romantique tragique et même touchante, confirmant par là le credo estampillé "de la Iglesia" et se détachant d’une formule autrefois unilatérale. Donc oui le freak est toujours aussi chic mais plus uniquement. Et pour cause, il est dans Balada Triste à la fois l’incarnation d’une certaine humanité et d'une colère limite touchante, car tragique, par le personnage du clown triste et celle de son nemisis le clown joyeux, adepte d'une violence cruelle et purement gratuite.
L’humanité va donc mal et n’a jamais été autant porteuse de discriminations et d’exclusions. Mais au contraire de chez Burton ou d’Action Mutante, celle-ci ne se déguisent plus à présent chez le réalisateur espagnol, sous des traits d’individus fatigants de normalité (selon certains standards) hypocrite et volontairement caricaturaux comme la famille middle class emménageant dans la maison dans Beetlejuice, ou les desperate housewives façon « american way of live approved » d’Edward aux mains d’argent. Elle revêt à présent littéralement le visage du monstre qu'elle est.
Alors pour tous les fans du Burton des grands jours, je ne conseillerais que de se plonger dans ce chef-d’œuvre de noirceur nécessaire qu’est Balada Triste, et tant qu’à faire à découvrir le reste de la filmographie de son auteur. Car s’il n’y en a bien un qui n’a pas abandonné les monstres, et le discours subversif que ceux-ci peuvent porter, ainsi que sa hargne des débuts, c’est bien lui !